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Les femmes sont leurs propres bourreaux

Comment se plonger dans cette section « Joloferies » sans pour autant parler abondamment des femmes sénégalaises ? Que nous le voulions ou non, notre cher sunugaal[1], en me permettant de généraliser en mettant les différentes communautés dans le même panier, place la femme au centre de la société, que cette société soit d’ailleurs patriarcale ou matriarcale. Paradoxalement, avant même d’être femme, la femme sénégalaise est mère, fille, sœur, tante, épouse, nièce, cousine… et j’en passe. Elle s’apparente au milieu de terrain d’une équipe de foot, à la colonne vertébrale du corps, au grand livre à partir duquel est préparée la balance générale, puis les états financiers. J’ouvre une parenthèse ici, si vous le permettez ; ces attentes par rapport aux femmes, je les aborderai en particulier dans un autre article. Parlons d’abord du rapport entre femmes.


Khoudia Diop, mannequin sénégalais


Etant assez active sur Facebook, je dois vous avouer un de mes péchés mignons : lire les commentaires laissés sur les publications anonymes dans les groupes de femmes. En regardant ces groupes de plus près, on se rend compte qu’ils représentent pour beaucoup, un cadre où l’on se permet de s’exprimer librement, un peu trop librement parfois, vu que le caractère virtuel de la plateforme fait souvent oublier à certaines que le respect et la correction restent toujours de rigueur. La fameuse arme du « screenshot » a quand même permis de tempérer les ardeurs. Cette liberté retrouvée, sûrement face à une société où la restriction, le paraître et le qu’en-dira-t-on sont de rigueur, met en exergue le rapport que la femme a par rapport aux autres femmes. Je m’en vais partager certains exemples fréquents, qui, je l’avoue, ont un côté amusant :


  • la femme qui découvre que son mari courtise une autre jeune/moins jeune femme célibataire/divorcée et même parfois, mais plus rarement mariée, preuve à l’appui. Bien sûr, on va attaquer « l’autre femme » : incarnation du diable en personne, il n’y a que l’envie et la jalousie pour expliquer son attitude. On la menace, sous couvert de vouloir la prévenir pour son propre bien ; on la traite de tous les noms d’oiseaux, elle qui a accepté de servir de jouet à cet homme qui ne l’épousera « jamais », d’après sa femme ou les autres mariées du groupe ;

  • la femme courtisée par un homme marié (droit de réponse oblige) : elle arbore une confiance en elle qui frise l’arrogance, et donc, envoie un message à la femme cocue – si tu t’occupais convenablement de lui, bo féson sa place[2], il n’irait point chercher ailleurs ! Arrêtez de vous négliger une fois mariée, et faites de vos foyers des havres de paix si vous voulez retenir vos hommes. Elle est jeune, belle, parfois active professionnellement, namul dara[3] ;

  • la femme invitée au mariage/baptême de sa belle-sœur/cousine/coépouse, en mode déffaneté[4]. Prête à tout pour être le centre de l’attention et faire des jalouses : tenue hors de prix que souvent ses revenus ne lui permettent pas de s’offrir, la 4x4 de circonstance (parfois louée ou empruntée) pour aju ci kaw daal di tiim say noon[5]. Prête à absolument tout pour arriver à son but, elle y mettra toutes ses économies et ira jusqu’à emprunter de l’argent pour ne pas perdre la face. Deffaneté rek, deffaneté kessé, deffaneté fépp ;

  • la belle-fille qui adepte du muñ[6], qui souffre le martyr dans son foyer, parce que vivant ou non avec sa belle-famille qui ne la laisse pas vivre en paix avec son homme. Elle appelle à l’aide, étale son chagrin, à la recherche d’une oreille attentive ou de quelque réconfort, ne pouvant plus supporter la situation dans laquelle elle se trouve.


Le plus pertinent par rapport à la réflexion présente, dans ces cas, n’est pas forcément le nombre de camps qui se forment dans les commentaires, mais plutôt un constat alarmant : très souvent, le conflit se matérialise entre l’épouse, sa belle-mère, sa belle-sœur, ou encore sa coépouse. Que des femmes. Cey Yallah[7]! Je m’en arrêterai là, pour ne pas tirer encore plus en longueur. Mon amusement a laissé place à une profonde tristesse, à de multiples interrogations mais surtout, à une envie de vous interpeler, chères lectrices.


Laissez-moi, dans un premier temps, commencer mon plaidoyer pour un ndëp[8] national consacré à la gent féminine. Avez-vous, consœurs, remarqué que dans tous les cas énumérés ci-dessus, nous, en tant que femmes, en plus de nous juger mutuellement, sommes souvent les premières à nous mettre des bâtons dans les roues ?


Ce sont les femmes qui excisent, qui pratiquent le xaxar[9] et le labaan[10] ; ce sont elles qui harcèlent leurs belles-sœurs, voient leurs belles-filles comme des rivales et manquent de respect à leurs belles-mères ; elles sont les organisatrices qui financent et prennent part aux diverses cérémonies de gaspillage organisé que sont devenus les mariages et les baptêmes. La liste est longue… Si les hommes sont le cerveau des mécanismes de leur asservissement social (je choisis un mot fort ici, j’assume, et je vous dirai très bientôt pourquoi dans un autre article), les femmes en sont les agents d’exécution et de maintenance. Que les choses soient claires, je charge mon canon, et je le pointe d’abord sur la gente féminine. Ladies first. Nous sommes, malheureusement, et aussi incroyable que cela puisse paraître, nos propres bourreaux. Lépp ñun lë[11].


Je me sais optimiste, à la limite utopique ; mais quid de la solidarité et de l’entraide, du mentorat et de l’amitié sincère, qui pourtant font partie intégrante de ces valeurs que nous nous hâtons de si fièrement brandir ? Si la danse de la maîtresse de cérémonie autour du taureau noir sacrifié, telle une libellule possédée virevoltant autour d’un lampadaire, ignorant le risque de se brûler les ailes, évoquant les esprits et appelant à la rescousse Maam Kumba Bang et Kumba Kastel sont la solution à ce perpétuel et contreproductif affrontement sans nom, se métamorphosant pour s’adapter à tous les cadres, soit.




Ayons le courage, chères ladies, de nous remettre en question. De repenser notre rapport à l’autre, surtout quand il s’agit d’une femme, qui vit dans sa chair les mêmes fluctuations mensuelles, qui connait comme nous, la magie de porter, puis de donner la vie ; qui possède la même sensibilité, qui fait face à des épreuves similaires. Nous sommes différentes, certes, en termes de personnalité, de vécu, de caractère, de contexte familial, de cadre éducatif, et j’en passe. Néanmoins, je reste convaincue que ce qui nous unit est et sera toujours plus fort que ce qui nous divise.


Lors d’une discussion, une amie me confiait que son père, qui avait deux femmes, ne pouvait concevoir que celles-ci soient en de bons termes. Animosité, rivalité et incompréhensions devaient impérativement faire partie de leur quotidien. Je pense que nous avons tous entendu, au moins une fois, un homme tenir ce discours… et vu des femmes s’y donner cœur joie, sans se rendre compte que leur mari divisait pour mieux régner. Prenons le temps de réfléchir au pourquoi de cet exemple, choisi parmi tant d’autres, chères ladies.


Sénégalaisement vôtre !




[1] Notre pirogue


[2] Si tu étais à la hauteur


[3] Elle n’est point envieuse, ne manque de rien


[4] Concurrence


[5] Se hisser pour mieux narguer ses ennemis


[6] Persévérance


[7] Mon Dieu !


[8] Cérémonie d’exorcisme lébou


[9] Partie de la cérémonie organisée lors de la nuit nuptiale où la famille de la mariée est couverte d’insultes


[10] Cérémonie organisée le lendemain de la nuit des noces pour louer la mariée dont la virginité a été prouvée par le pagne tâché


[11] Nous sommes fautives

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